Le contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires

 

Entre 2014 et 2019, en France, selon un récent rapport de la cour des comptes, le nombre moyen de jours de congé des agents publics a augmenté de 21%. Il est ainsi passé de 10 jours à 12 jours.

Le coût de ces arrêts maladies est aujourd’hui très important pour les employeurs publics. La Cour des Comptes l’a ainsi estimé à 11,9 milliards d’euros pour l’ensemble des trois versants de la fonction publique[1]

Pour limiter ce coût, le pouvoir réglementaire, appuyé par la jurisprudence des juridictions administratives, prévoit des outils pour contrôler les arrêts de travail produits par les fonctionnaires.

En effet, le placement en congé de maladie ordinaire est un droit pour l’agent qui fait parvenir un certificat médical attestant de son incapacité à exercer ses fonctions[2] [3].

Dans le cadre de cet article, il conviendra donc, dans un premier temps, de présenter les différents outils par lesquels les employeurs publics peuvent contrôler la légitimité des arrêts de travail de leurs agents (I). Dans un second temps, nous examinerons les conditions dans lesquelles ces contrôles peuvent ensuite être utilisés pour mettre en œuvre une procédure de radiation des cadres pour abandon de poste (II).

 

I) Les différents outils de contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires

 

Le premier outil de contrôle de la légitimité d’un arrêt de travail d’un agent est expressément prévu par les textes réglementaires applicables aux trois versants de la fonction public. Il s’agit de la contre visite de l’agent réalisé par le médecin agréé [4].

Cette contre-visite peut être diligentée à tout-moment par l’employeur public[5].

L’agent doit obligatoirement s’y soumettre, sous peine de voir le versement de sa rémunération interrompu[6].

Également, si l’agent ne se soumet pas à cette contre visite, l’employeur public pourra mettre en œuvre la procédure de radiation des cadres pour abandon de poste[7]. Les conditions de mise en œuvre de cette procédure seront étudiées dans la deuxième partie.

A l’issue de cette contre-visite, l’administration ou l’agent peut demander la saisine du comité médical[8].

Pour le fonctionnaire, en cas de conclusions du médecin agréé retenant l’aptitude à la reprise des fonctions, on ne saurait que trop conseiller de se prévaloir de cette garantie. En effet, la réunion du comité médical est encadrée par de nombreuses garanties accordées au fonctionnaire, et dont la violation est de nature à entraîner l’annulation de la décision finalement adoptée[9].

Le second outil de contrôle de la légitimité des arrêts de travail comprend les avis des comités médicaux et des commissions de réforme se prononçant sur l’octroi ou sur la prolongation des congés octroyés aux fonctionnaires.

En effet, les textes prévoient que les différents congés de maladie accordés aux fonctionnaires le sont pour une période limitée. Le renouvellement de ces congés est conditionné à la mise en œuvre d’une nouvelle procédure, incluant un examen de son état de santé par un comité médical ou une commission de réforme[10].

A cette occasion, lorsque le comité ou la commission rend un avis défavorable à la prolongation du congé, elle se prononce alors souvent sur l’aptitude de l’agent à la reprise des fonctions. La question s’est alors posée de savoir si ces avis pouvaient permettre à l’employeur public d’enjoindre à l’agent de reprendre son poste, lorsqu’ils retenaient l’aptitude de l’agent à ses fonctions, où s’il était nécessaire de mettre spécifiquement en œuvre la procédure de contre visite à cet effet.

Dans un premier temps certaines cours administratives d’appel ont retenu que l’employeur était tenu de mettre en œuvre la procédure de contre-visite, même en cas d’avis médical retenant l’aptitude à la reprise des fonctions, avant d’enjoindre à son agent de regagner son poste[11].

Cette position a rapidement été battue en brèche par le Conseil d’Etat. Ce dernier a jugé que les avis des comités médicaux retenant l’aptitude de l’agent à ses fonctions étaient suffisants pour l’enjoindre à regagner son poste[12].

Sur la base de ces éléments médicaux, l’employeur public pourra alors mettre en œuvre la procédure de radiation des cadres pour abandon de poste.

 

II) La procédure de radiation des cadres pour abandon de poste du fonctionnaire bénéficiant d’arrêts de travail de complaisance

 

Lorsque l’administration dispose de conclusions d’une contre visite médicale ou d’avis d’un comité médical ou d’une commission de réforme retenant l’aptitude de l’agent à ses fonctions, les certificats médicaux qu’il produit ne font, en principe, plus obstacle à ce que son employeur l’enjoigne à regagner son poste[13].

Comme vu précédemment, tel est également le cas, lorsque l’agent se soustrait sans justification à une contre-visite médicale[14].

En l’absence de tels éléments médicaux venant contredire les arrêts maladie produits par l’agent, aucune procédure d’abandon de poste ne peut être diligentée à son égard.

En cas de non-respect de cette injonction l’agent pourra être radié des cadres pour abandon de poste si plusieurs conditions sont réunies :

– l’injonction de reprendre les fonctions a été notifiée par écrit à l’agent ;

– cette injonction laisse à l’agent un délai approprié pour regagner son poste ;

– cette injonction informe le fonctionnaire du risque de radiation des cadres sans mise en œuvre d’une procédure disciplinaire, en l’absence de retour sur le poste dans le délai fixé ;

– l’agent n’a pas fait part à l’administration de ses intentions, avant l’expiration du délai ;

– postérieurement à l’expiration de ce délai, l’agent n’a fait part à son employeur d’aucune justification d’ordre matériel ou médical, de nature à expliquer le retard qu’il aurait eu à manifester un lien avec le service[15].

Sur les modalités de notification de l’injonction, le courrier recommandé avec accusé de réception paraît être le moyen le plus sécurisé de communication. En effet, l’absence de remise en main propre puis de retrait au bureau de poste de ce courrier ne fera pas obstacle à la radiation des cadres pour abandon de poste[16].

Sur le fondement de cette grille d’analyse, il a pu être jugé qu’un certificat médical, produit postérieurement à une contre visite médicale, constatant une aggravation de l’état de santé ou l’apparition d’une nouvelle affection, fait obstacle à la mise en œuvre de la suspension du traitement, ou à la radiation des cadres[17].

D’autres obstacles à la procédure d’abandon de poste ont pu être identifiés, grâce à cette grille, par les juridictions administratives :

– lorsque le médecin de prévention, au moment de la visite médical de reprise, a retenu la nécessité d’adapter le poste de l’agent et l’a renvoyé chez lui[18];

– lorsque le médecin du travail a remis en cause les conclusions de la contre visite, et retenu la nécessité de placer l’agent en congé maladie [19].

Enfin, dernière garantie procédurale importante accordée à l’agent radié des cadres pour abandon de poste, la décision qui prononce cette mesure devra être motivée. A défaut, elle sera annulée[20].

 

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[1] « La rémunération des agents publics en arrêt maladie », rapport de la Cour des Comptes de juin 2021, https://www.ccomptes.fr/fr/documents/56748

[2]   Pour les fonctionnaires de l’Etat, Article 24 du décret n°86-442 du 14 mars 1986

Pour les fonctionnaires territoriaux, Article 14 du décret n°87-602 du 30 juillet 1987

Pour les fonctionnaires hospitaliers, Article 14 du décret n°88-386 du 19 avril 1988

[3] Pour une application jurisprudentielle, voir notamment CE, 30 décembre 2011, req. n°343197

[4] Pour les fonctionnaires de l’Etat, Article 25 du décret n°86-442 du 14 mars 1986

Pour les fonctionnaires territoriaux, Article 15 du décret n°87-602 du 30 juillet 1987

Pour les fonctionnaires hospitaliers, Article 15 du décret n°88-386 du 19 avril 1988

[5] Ibid

[6] Ibid

[7] CE, 11 décembre 2015, req. n°375736

[8] Pour les fonctionnaires de l’Etat, Article 25 du décret n°86-442 du 14 mars 1986

Pour les fonctionnaires territoriaux, Article 15 du décret n°87-602 du 30 juillet 1987

Pour les fonctionnaires hospitaliers, Article 15 du décret n°88-386 du 19 avril 1988

[9] Pour des exemples de garanties pour les fonctionnaires de l’Etat, article 7 décret n°86-442 du 14 mars 1986

Pour les fonctionnaires territoriaux, Article 4 du décret n°87-602 du 30 juillet 1987

Pour les fonctionnaires hospitaliers, Article 7 du décret n°88-386 du 19 avril 1988

[10] En matière de congé de longue maladie par exemple, voir pour les fonctionnaires de l’Etat, l’article 35 du décret n°86-442 du 14 mars 1986

Pour les fonctionnaires des collectivités territoriales, voir l’article 26 décret n°87-602 du 30 juillet 1987

Pour les fonctionnaires hospitaliers, voir l’article 25 du décret n°88-386 du 19 avril 1988

[11] CAA LYON, 28 février 2017, req. n°15LY00498

[12] CE, 16 octobre 2017, req. n°409577 ; CAA MARSEILLE, 23 mars 2018, req. n°17MA03560

[13] CAA DOUAI, 25 février 2020, req. n°18DA01299

[14] CE, 11 décembre 2015, req. n°375736

[15] Ibid

[16] CAA NANCY, 27 décembre 2018, req. n°17NC01073

[17] CE, 12 juin 2013, req. n°364971 ; CAA DOUAI, 8 octobre 2020, req. n°19DA00020

[18] CAA NANCY, 23 février 2021, req. n°19NC02630

[19] CAA MARSEILLE, 6 novembre 2018, req. n°17MA01828

[20] CAA VERSAILLES, 13 février 2020, req. n°18VE02719

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