La notion d’opération dispose d’une définition légale, figurant à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme.
Cependant, malgré cette définition, la notion d’opération est difficile à appréhender. En effet, la jurisprudence sur le sujet reste parcellaire, ce qui empêche de saisir l’ensemble des nuances de cette notion.
Cette situation est d’autant plus regrettable qu’une telle qualification emporte des conséquences importantes pour les personnes publiques.
L’objet de la présente étude est de faire un rapide état des lieux sur cette notion (I), puis d’alerter sur les incidences d’une qualification d’un projet immobilier d’une personne publique en opération ou action d’aménagement (II).
I) Sur l’identification d’une opération d’aménagement
L’article L.300-1 alinéa 1 du code de l’urbanisme définit l’opération d’aménagement en fonction de son objet :
« Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l’optimisation de l’utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. »
Cette rédaction peut laisser penser qu’un projet, ayant l’un des objets listé dans cet article, est automatiquement qualifié d’opération d’aménagement.
Cependant, la jurisprudence du Conseil d’Etat fait obstacle à cette conception trop attractive de l’opération d’aménagement. Elle exige ainsi que le projet dispose également d’une certaine importance et consistance[1].
De ce fait, ne rentrent pas dans cette qualification les travaux routiers pour assurer la sécurité de la circulation dans une rue[2].
Ainsi, à partir de quelle ampleur un projet, présentant un objet listé à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme, est-il qualifié d’opération d’aménagement ?
Sur ce point, la jurisprudence procède à une analyse au cas par cas. Cette méthode complexifie toute identification certaine d’une opération d’aménagement, pour des projets d’ampleur limitée.
De plus, les solutions jurisprudentielles dégagées paraissent parfois contradictoires entre elles.
Par exemple, le Conseil d’Etat a qualifié, en 2015 et 2019, d’opération d’aménagement des projets de création de 35 à 40 logements sociaux[3]. Or, en 2017, la Cour Administrative d’Appel de LYON a dénié une telle qualification à un projet de créations de 30 logements sociaux[4].
L’objet du litige était différent dans ces deux affaires (contestations de l’exercice d’un droit de préemption devant le Conseil d’Etat, contestation d’un recours à une cession avec charge et non d’une concession d’aménagement dans l’autre). Cependant, cette circonstance ne devrait pas avoir d’incidence sur l’interprétation dégagée de l’article L.300-1 du code de l’urbanisme.
Cette difficulté est d’autant plus sérieuse que la qualification d’un projet en opération ou action d’aménagement entraîne d’importantes conséquences juridiques.
II) Sur les implications juridiques d’une telle qualification
Lorsque le projet d’une personne publique reçoit la qualification d’opération d’aménagement, cette circonstance a principalement trois implications juridiques.
La première, favorable à la personne publique, lui permet de créer une zone d’aménagement concertée pour la réalisation du projet.[5]. A l’intérieur de cette zone, il sera notamment possible d’opposer un sursis à statuer aux projets susceptibles de compromettre ou de rendre plus onéreux l’aménagement de la zone[6].
La deuxième, également favorable à la personne publique, est la possibilité de mettre en œuvre un les droits de préemption prévus par le code de l’urbanisme, sur les biens sur lesquels le projet est envisagé [7].
A défaut de qualification d’opération d’aménagement d’un projet, il sera donc impossible de mobiliser ces outils[8].
La troisième et dernière conséquence, défavorable aux personnes publiques, est l’obligation d’avoir recours à une concession d’aménagement, pour déléguer à un tiers la réalisation de ces projets.
En effet, la CJCE a imposé le recours à des procédures contraignantes pour la passation de ces contrats [9].
Ainsi, lorsque l’aménageur supporte un risque relatif l’opération, la procédure est proche de celle applicable aux concessions[10]. En l’absence d’un tel risque, la procédure est proche de celle applicable aux marchés publics[11].
La liberté contractuelle de la personne publique s’en trouve entravée. En effet, un contrat qui présentera les caractéristiques d’une concession d’aménagement pourra faire l’objet d’une requalification. Ainsi, si sa conclusion n’est pas précédée de la procédure correspondante, il pourra notamment être annulé.
Cette circonstance menace la légalité de certains montages contractuels, de type cession avec charge d’intérêt général. Ces montages consistent en des ventes de biens du domaine privé de personne publique, assorties de contraintes imposées à l’acquéreur. Ils sont souvent précédés d’une procédure de mise en concurrence légère, de type appel à projet. Les collectivités territoriales entendent échapper par ce biais à des règles de passation plus stricte. En effet, le recours à l’adjudication n’est pas obligatoire pour la cession de ces biens.
Ces contrats ont récemment connu un essor important, du fait de cette liberté procédurale. Cependant, s’ils conduisent à concéder une opération d’aménagement, un risque de requalification en concession d’aménagement est à prévoir. Ce risque a d’ailleurs été largement identifié par la doctrine[12].
Le juge administratif censure encore peu ce type de montages. Souvent, il considère les charges comme accessoires à la vente du terrain du domaine privé. Par ce biais, il refuse ainsi de procéder à une requalification du contrat en concession d’aménagement [13].
Malgré cette relative tolérance, le risque de requalification est réel. Il impose aux collectivités la plus grande prudence, notamment dans l’identification d’une action ou opération d’aménagement en amont du projet.
[1] En ce sens, voir notamment les conclusions très éclairantes de Monsieur Jean LESSI sur la décision du Conseil d’Etat du 2 novembre 2015, n°374957, Commune de CHOISY-LE-ROI.
[2] CE, 3 décembre 2007, n°295779
[3] CE, 2 novembre 2015, n°374957, CE 19 décembre 2019, n°420227
[4] CAA LYON, 16 novembre 2017, n°16LY03824
[5] Article L.311-1 du code de l’urbanisme
[6] Article L.311-2 du code de la commande publique
[7] Article L.210-1 du code de l’urbanisme
[8] Pour un exemple, voir CE, 30 juillet 1997, n°160949
[9] CJCE, 18 janvier 2007, Jean Auroux c/ Commune de Roanne, C-220/05
[10] Article R.300-4 du code de l’urbanisme
[11] Article R.311-11-1 et R.311-11-2 du code de l’urbanisme
[12] Par exemple, voir la revue « Le Moniteur Contrats Publics » n°206 du mois de février 2020, comprenant un dossier « L’appel à projets : un outil à double face », et notamment l’article de Me Walter SALAMAND « L’appel à projet d’aménagement n’existe pas ».
[13] Voir notamment CAA DOUAI, 25 octobre 2012, n°11DA01951 ; ou encore CAA MARSEILLE, 26 juin 2015, n°13MA03615