L’information des soumissionnaires évincés des marchés publics

31 Jan 2022 | Commande publique

L’information des soumissionnaires évincés est une garantie nécessaire à la transparence des procédures de passation des marchés publics. Elle permet à ces derniers de contrôler les motifs de leurs évictions, afin d’apprécier l’opportunité de les contester devant le juge administratif.

Cette obligation, déjà présente dans l’ancien code des marchés public[1] et l’ordonnance et le décret marché[2], figure à l’article L.2181-1 du code de la commande publique. Ses modalités de mise en œuvre sont précisées aux articles R.2181-1 et suivants du code de la commande publique (I).

Cependant, les termes de ces articles sont relativement généraux. La jurisprudence a ainsi été amenée à préciser les éléments devant être communiqués, dans le cadre de cette information (II). Elle a également dû définir les sanctions attachées à une information incomplète des soumissionnaires évincés (III).

 

I) Une obligation d’information variable, en fonction de la procédure de passation suivie

 

Les articles L.2181-1 et R.2181-1 du code de la commande publique imposent la notification sans délai du rejet de l’offre du soumissionnaire. Cependant, le contenu de cette notification est distinct en procédure formalisée (A) ou en procédure adaptée (B).

 

A) Une obligation d’information étendue, dans les marchés passés selon une procédure formalisée

 

Un marché doit être passé selon une procédure formalisée lorsque son montant dépasse un certain seuil, déterminé au niveau européen[3]. Les garanties procédurales, devant être respectées par les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices, sont alors renforcées.

A ce titre, l’acheteur doit respecter un délai de standstill entre l’information des soumissionnaires évincés et la signature du marché. Durant, ce délai, l’acheteur ne peut donc signer le marché. Il est de 11 jours, en cas de notification électronique, et de 16 jours dans les autres cas.[4].

Ce délai a pour but de permettre au soumissionnaire évincé de former un référé précontractuel, pour contester son éviction. En effet, cette voie de recours n’est ouverte que lorsque le marché n’a pas encore été signé. Elle permet de dénoncer les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence commis lors de la procédure de passation [5].

Pour permettre au soumissionnaire d’utiliser utilement cette voie de recours, il faut qu’il dispose d’informations lui permettant d’apprécier la légitimité de son éviction.  A cet effet, l’article R.2181-3 du code de la commande publique prévoit que la notification doit indiquer :

– les motifs du rejet de l’offre du soumissionnaire ;

– le nom de l’attributaire, et les motifs ayant conduit au choix de son offre ;

– la date à compter de laquelle le marché peut être signé.

 

B) Une obligation d’information restreinte, dans les marchés passés selon une procédure adaptée.

 

Lorsque le montant d’un marché est inférieur aux seuils de procédure formalisée, tout en étant supérieur à 40 000 euros, ce dernier est conclu selon une procédure adaptée[6]. Les contraintes procédurales, imposées à l’acheteur, sont alors plus légères.

Ainsi, l’acheteur n’a pas à respecter un délai de standstill, entre la notification du rejet de l’offre et la signature du marché [7]. L’usage du référé précontractuel, dans le cadre de ce type de marché, est donc moins fréquent.

Cette différence explique le contenu allégé de la notification, dans le cadre de ce type de marché. Seul le refus de l’offre doit être indiqué, sans qu’il ne soit nécessaire d’indiquer davantage d’informations.

Cependant, le soumissionnaire peut introduire un recours direct contre le contrat, dit recours « Tarn et Garonne ». Ce recours doit être introduit dans le délai de deux mois qui suit la publication du marché. A l’occasion de ce recours, il est possible de dénoncer les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ayant lésé le soumissionnaire évincé [8]

Pour se faire, l’article R.2181-2 du code de la commande publique permet au soumissionnaire évincé d’obtenir rapidement les informations nécessaires à son recours. Il peut ainsi demander à ce que lui soit communiqué, dans un délai de quinze jours :

– les motifs du rejet de son offre ;

– les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue ;

– le nom de l’attributaire.

Cependant, ces expressions sont assez imprécises, et ne permettent pas d’identifier clairement les informations qui doivent être communiquées. Le juge administratif a donc dû préciser ces dispositions.

 

II) Les précisions jurisprudentielles, quant au contenu de l’information du soumissionnaire

 

Ces précisions ont surtout été apportées par le juge des référés précontractuels.

En effet, au regard de l’office limitée du juge du référé contractuel, ce dernier refuse la plupart du temps d’accueillir un tel moyen[9]. En matière de recours Tarn et Garonne, la durée plus longue de l’instruction et les pouvoirs d’enquête du juge rendent cette question moins prégnante.

Les jurisprudences utiles en la matière sont donc surtout apportées :

– par les juges des référés des tribunaux administratifs (B) ;

– par le Conseil d’Etat, dans le cadre de recours en cassation, les décisions des juges des référés précontractuels n’étant pas susceptibles d’appel [10] (A).

 

A) La définition par le Conseil d’Etat des grandes caractéristiques de l’information du soumissionnaire évincé

 

Le Conseil d’Etat a ainsi posé les jalons d’une information correcte du soumissionnaire évincé. Cette information doit donc au minimum comprendre :

– le classement du soumissionnaire évincé ;

– les notes attribuées aux différents critères au soumissionnaire ;

– l’identité du soumissionnaire retenu ;

– ses différentes notes sur les critères définis par le marché[11].

Le Conseil d’Etat juge ainsi qu’en principe, ces éléments sont suffisants pour identifier les motifs de rejet d’une offre.

Cependant, l’analyse de la jurisprudence des tribunaux administratifs permet d’obtenir des précisions sur des points plus spécifiques.

 

B) Les précisions de ces caractéristiques pas les tribunaux administratifs

 

La jurisprudence des tribunaux administratifs est plus casuistiques, et doit donc être prise avec plus de réserves. Il est tout de même possible d’en dégager certaines grandes tendances.

Tout d’abord, le secret commercial ne peut être opposé par l’acheteur pour refuser de produire une information prévue par les textes [12].

Ensuite, les notes obtenues par l’attributaire et le soumissionnaire évincé pour chaque sous-critère doivent, en règle générale, également être renseignées [13].

Dans certains cas, des juridictions exigent également une mention manuscrite permettant de comprendre les avantages relatifs de l’offre retenue, lorsque cela ne ressort pas des seules notes obtenues[14].

Cependant, cette notification ne doit pas forcément indiquer la méthode de notation retenue pour les différents critères [15].

La question de la production de l’information du prix du candidat retenu a donné lieu à une jurisprudence nuancée et intéressante. Si quelques jurisprudences anciennes dispensaient l’acheteur de toute production de cette information[16],  d’autres plus récentes vérifiaient tout de même que le prix pouvait être reconstituer à partir des éléments à la disposition du soumissionnaire évincé [17].

En revanche, le détail des prix pour chaque prestation ne doit pas forcément être renseigné. Cette tolérance est notamment justifiée par le secret des affaires[18].

 

III) L’office du juge, dans le contrôle de l’information complète des soumissionnaires évincés

 

Pour les raisons précédemment évoquées, ce contrôle a surtout son importance devant le juge des référés précontractuels.

Au regard de son office, ce dernier se refuse à annuler une procédure de passation, en raison d’un seul défaut d’information.

Tout d’abord, il considère que ce vice peut être régularisé en cours de procédure, si l’acheteur transmet ces informations durant l’instruction [19].

Ensuite, il peut enjoindre à l’acheteur de produire ces éléments[20]. Ce n’est qu’à défaut de production des informations, après injonction du juge, que la procédure de passation pourra être censurée[21].

Le juge des référés précontractuels refusera, par ailleurs, d’accéder aux demandes de production de pièces supplémentaires du marché. En effet, il ne considère souvent pas la production de ces pièces comme nécessaires à son office. A ce titre, n’ont par exemple pas à être communiqués :

– Le bordereau des prix unitaires [22];

– Le procès-verbal de la commission d’appel d’offres [23];

– Le mémoire technique de l’attributaire [24];

– Le rapport d’analyse des offres [25];

– Le détail quantitatif estimatif de l’offre retenue [26].

 

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[1] Article 80 et 83 de l’ancien code des marchés publics

[2] Article 55 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ; Article 99 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

[3] Article L.2124-2 du code de la commande publique.

Pour plus d’informations sur ces seuils, https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F23371

[4] Article R.2182-1 du code de la commande publique

[5] Article L.551-1 du code de justice administrative

[6] Article L.2123-1 du code de la commande publique

[7] CE, 29 juin 2012, n°357976

[8] CE, 4 avril 2014, n°358994

[9] TA, 15 mars 2012, n°1200614

[10] Article R.551-6 du code de justice administrative

[11] En ce sens, voir notamment CE, 18 décembre 2012, n°363342 et CE, 19 avril 2013, n°365316

[12] Voir TA CAEN, 7 décembre 2015, n°1502020

[13] Voir TA VERSAILLES, 9 août 2013, n°1304280

[14] TA MARSEILLE, 28 avril 2014, n°1402628

[15] TA CLERMONT-FERRAND, 29 décembre 2009, n°092237

[16] TA LILLE, 2 septembre 2010, n°1004965

[17] TA STRASBOURG, 20 janvier 2015, n°1407254

[18] TA PARIS, 25 août 2016, n°1611938 ; ou encore TA RENNES, 27 janvier 2021, n°2100008

[19] TA CAEN, 7 mai 2015, n°1500843

[20] TA POITIERS, 7 mai 2015, n°1501043

[21] TA CAEN, 7 décembre 2015, n°1502020

[22] TA LILLE, 2 septembre 2010, n°1004965

[23] TA LILLE, 28 mai 2013, n°1000231

[24] Ibid

[25] TA BORDEAUX, 13 juillet 2012, n°1202346

[26] TA NANCY, 25 août 2015, n°1502244

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